John William Waterhouse, Cléopâtre, 1887
Huile sur toile • 65.3 x 56.9 cm • © Christie's Images / © Bridgeman Images
Un nez qui aurait pu « changer la face du monde », selon le philosophe Blaise Pascal, mais aussi mille visages. Jamais une reine n’aura suscité autant de commentaires, autant de passion : Cléopâtre VII (69–30 av. J.-C.) est une légende. Comme les mythes ne s’éteignent jamais, 2055 ans après sa mort, on continue de parler de celle qui, en décidant de se suicider avec un serpent plutôt que de se rendre, allait graver son nom dans l’histoire.
Jusqu’au 11 janvier 2026, la dernière reine d’Égypte est la star d’une grande exposition à l’Institut du monde arabe. En près de 250 œuvres et objets d’art, des trésors archéologiques aux créations contemporaines, « Le mystère Cléopâtre » invite le public à redécouvrir une figure fascinante, entre faits historiques et fake news.
Pièce de monnaie égyptienne, 50 piastres reine Cléopâtre, 1442
© Collection Particulière
Vous qui entrez dans les premières salles du parcours, abandonnez tous vos clichés. « On ne sait rien sur sa beauté, rien sur sa carnation, rien sur sa chevelure », prévient Christiane Ziegler, commissaire scientifique de l’exposition. « Qu’elles soient de style grec ou égyptien, il ne subsiste aucune statue qui puisse être attribuée avec certitude à Cléopâtre », ajoute-t-elle. Sur les pièces de monnaie, la reine apparaît avec un petit front, de grands yeux, une mâchoire développée, et ce fameux nez comme courbé… Le stéréotype de la femme fatale – celle qui a séduit, entre autres, Jules César et Marc Antoine – se fissure.
Derrière la séductrice, les œuvres brossent le portrait d’une souveraine bien plus complexe : réformatrice économique, diplomate habile et maîtresse incontestée des symboles. Fine stratège politique, polyglotte et érudite, c’est après avoir éliminé ses concurrents (ses frères-époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV) qu’elle parviendra à maintenir la paix durant deux décennies dans une Égypte sous protectorat romain. Après avoir associé au pouvoir Césarion, fils qu’elle a eu avec Jules César, et donné naissance à trois autres enfants avec Marc Antoine, elle est mise en déroute par Octave à la bataille d’Actium. Cléopâtre finit par se suicider.
Diffamée dans les textes anciens romains, qui la qualifient de « reine prostituée », la « nymphomane » est réhabilitée, des siècles plus tard, par les artistes. De la Renaissance à nos jours, l’exposition revient sur 400 ans de passion amoureuse des beaux-arts pour Cléopâtre.
Jean-André Rixens, La mort de Cléopâtre, 1874
Huile sur toile • 198 × 289 cm • Coll. Musée des Augustins, Toulouse • © Musée des Augustins, Toulouse
Écrivains, peintres et sculpteurs sont légion à fantasmer sa mort. Assimilée à Ève, tentée par le serpent biblique, Cléopâtre passe de l’héroïne romantique à la figure exotique et pittoresque : chez un peintre comme Jean-André Rixens (1846–1925) comme chez Michele Tosini (1503–1577), trois siècles d’écart mais une même sensualité morbide.
Après le théâtre de Shakespeare, on la retrouve sur scène, incarnée par Sarah Bernhardt en pleine vogue de l’égyptomanie. Admirez les costumes et les maquettes des décors de spectacle ! De quoi préfigurer la mode des péplums au cinéma.
Sur grand écran déboulent, en Technicolor, Vivian Leigh, Sophia Loren, Elizabeth Taylor… Les quelque 220 films produits entre 1963 et 2023 suffisent à traduire la « cléomania » qui sévit dans le 7e art. Magnifiée par Hollywood, Cléopâtre est aussi une icône dans la publicité, la bande dessinée, le dessin animé, les jeux vidéo. Cette ambassadrice sait tout vendre – du savon, du riz, du cola, etc. –, ce dont Cleopatra Kiosk (2025), l’installation de Shourouk Rhaiem, fait étalage.
Shourouk Rhaiem, Cleopatra’s Kiosk, 2025
Collection de Shourouk Rhaiem, Paris • © Alberto Ricci
Victime du patriarcat, Cléopâtre a pris sa revanche. Invitées dans l’expo, plusieurs générations d’artistes féminines contemporaines rendent hommage à cette femme de pouvoir, longtemps calomniée pour mieux être camouflée dans le récit de la grande Histoire. Grimée en « Vénus cléopatrienne », Cindy Sherman fait, par exemple, ce qu’elle fait de mieux : transformer le corps de la femme d’objet à sujet.
Le dernier mot est donné à Barbara Chase-Riboud qui a choisi avec son trône doré (1994) de ne pas représenter le corps de Cléopâtre. Seul son pouvoir s’exerce, dans toute sa splendeur.
Le mystère Cléopâtre
Du 10 juin 2025 au 11 janvier 2026
Institut du monde arabe • 1, rue des Fossés Saint-Bernard • 75005 Paris
www.imarabe.org
1226840
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