TRUE ART STORY

Vidéo : Qui était Gabriele Münter, peintre oubliée du Blaue Reiter, révélée dans une expo à Paris ?

Par et • le

« Aux yeux de beaucoup, je n’étais qu’une annexe insignifiante de Kandinsky. On oublie facilement qu’une femme peut posséder un talent original et authentique, être une vraie créatrice. » Longtemps éclipsée par celui qui fut son compagnon quatorze ans durant, Gabriele Münter (1877–1962) a pourtant eu une longue et prolifique carrière d’artiste.

Une rétrospective au musée d’Art moderne de Paris, jusqu’au 24 août, remet largement en lumière cette figure majeure de l’histoire de l’art, cofondatrice du mouvement Der Blaue Reiter, en revenant sur son singulier parcours dans l’Europe des avant-gardes et sur son œuvre extraordinairement variée, picturale mais aussi photographique et graphique.

La découverte des avant-gardes

« Münter va avoir besoin d’absorber la découverte des avant-gardes, notamment les fauves. »

Née à Berlin en 1877, Gabriele Münter grandit dans un milieu assez libre qui encourage sa vocation artistique. À l’âge de 21 ans, devenue orpheline, elle fait avec sa sœur un voyage initiatique de deux ans aux États-Unis où elle acquiert un appareil photo. « À cette époque je ne connaissais rien à l’art, je voulais juste saisir les hommes comme ils étaient », dira-t-elle à propos des centaines de clichés qu’elle tire de son périple. « C’est ce qui va vraiment lui ouvrir son œil, la maîtrise des cadrages, la volonté de prendre aussi des personnes dans leurs activités quotidiennes. On voit que tous ses thèmes, tous ses sujets vont apparaître à ce moment-là », éclaire Hélène Leroy, la co-commissaire de l’exposition.

De retour en Allemagne, la rencontre avec l’un de ses professeurs de l’école d’art avant-gardiste Phalanx, qui organise des stages d’été en plein air, va s’avérer déterminante. Son nom : Vassily Kandinsky, futur père de l’abstraction. Leur relation devient rapidement plus intime, mais rencontre un obstacle : le peintre russe est déjà marié. Pour vivre son amour au grand jour, le couple illégitime entreprend donc un long voyage, en Tunisie, en Italie, aux Pays-Bas et, enfin, à Paris. Là, « Münter va avoir besoin d’absorber la découverte des avant-gardes, notamment les fauves qui ont fait scandale un an avant, au Salon d’Automne », raconte Hélène Leroy, ajoutant qu’elle expose alors pour la première fois.

L’effervescence du Blaue Reiter

Gabriele Münter, Marianne von Werefkin
Zoomer

Gabriele Münter, Marianne von Werefkin, 1909

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Huile sur carton • 81 × 55 cm • Stadtische Galerie im Lenbachhaus, Munich • © Stadtische Galerie im Lenbachhaus, Munich/Bridgeman Images

Kandinsky et Münter découvrent, à leur retour en Allemagne, le pittoresque village bavarois de Murnau, entouré de lacs et de montagnes. Avec leurs amis artistes et théoriciens Marianne von Werefkin, Alexej von Jawlensky, Franz et Maria Marc, le couple s’engage dans une nouvelle peinture aux couleurs très vives, qui ambitionne de capturer l’essence spirituelle des choses. Le mouvement Der Blaue Reiter (« Cavalier bleu ») naît ainsi en 1911, dans la propriété que Gabriele Münter acquiert à Murnau, bientôt baptisée « la maison des Russes ». Entièrement décorée à la main, elle est un havre de paix mais avant tout un laboratoire créatif empli d’objets populaires folkloriques et de dessins d’enfants que le couple collectionne. « Münter va même jusqu’à recopier ou interpréter ces dessins. C’est reconnaître que les enfants ont des choses à nous apprendre », pointe Hélène Leroy.

L’artiste connaîtra des années difficiles pendant lesquelles elle continue malgré tout de créer et de faire évoluer son style, au contact notamment de la Nouvelle Objectivité.

Mais cette parenthèse enchantée, cet épisode fondateur dans l’histoire de l’art moderne s’arrête brutalement en 1914, lorsque la guerre éclate entre la France et l’Allemagne. Kandinsky fuit en Russie, tandis que Münter s’exile en Suède. Le couple, déjà fragilisé, ne se reverra jamais. « Münter ne découvrira que très longtemps après la guerre qu’en fait Kandinsky s’est remarié en Russie, et a rencontré une autre femme. » Se sentant trahie, l’artiste connaîtra des années difficiles pendant lesquelles elle continue malgré tout de créer et de faire évoluer son style, au contact notamment de la Nouvelle Objectivité. En 1929, elle se plonge dans l’effervescence parisienne caractéristique de l’entre-deux-guerres. Elle y observe et croque sur le vif des femmes à son image, émancipées, frondeuses : « c’est la fameuse garçonne, la ‘Neue Frau’ » !

Une artiste fidèle à ses principes

Durant la montée du nazisme, et malgré son style proche de ce qui est considéré par le parti comme de l’art « dégénéré », Gabriele Münter fait le choix de rester dans sa maison de Murnau, la conduisant à exposer brièvement dans une manifestation de propagande hitlérienne. Mais très vite, alors que l’Allemagne énonce les lois de saisies d’art « dégénéré », elle prend la décision de cacher dans son sous-sol ce qu’on appellera « le trésor de Murnau », soit des centaines de chefs-d’œuvre signés de Kandinsky et des artistes du Blaue Reiter. Ils y resteront à l’abri des convoitises pendant une trentaine d’année. « Quand elle en a eu l’opportunité, poursuit Hélène Leroy, parce qu’elle était très proche du musée Lenbachhaus à Munich, ce trésor-là, elle l’a transmis au public. Et aujourd’hui, c’est grâce à toute cette sauvegarde qu’on peut voir de très belles expositions de Gabriele Münter, mais aussi de Kandinsky, de Franz Marc, et même de Paul Klee. »

Après de grands événements qui la consacrent dans les années 1950, Gabriele Münter s’éteint le 19 mai 1962, à 85 ans. Elle laisse, outre sa maison devenue un musée ouvert au public, une œuvre qui aura su se réinventer sans cesse tout en restant fidèle à sa ligne : « peindre sans détours ». C’est-à-dire, résume Hélène Leroy, « en extrayant de la nature l’essence des choses ».

Texte : Florelle Guillaume

Arrow

Gabriele Münter. Peindre sans détours

Du 4 avril 2025 au 24 août 2025

www.mam.paris.fr

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Retrouvez dans l’Encyclo : Der Blaue Reiter

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